Marc Janson

Marc JANSON
Galerie Saint-Augustin
122 boulevard Haussmann 75008 Paris

Préface : Pierre GUIRAUD - 1958

À l’extrême limite de l’abstrait, Marc JANSON réinvente un des univers les plus concrets de la peinture. Paradoxe apparent, car la traditionnelle distinction entre figuratifs et non figuratifs masque une des oppositions fondamentales de l’art de peindre : les peintres de la forme et les peintres de la substance.

L’art contemporain dans son ensemble reste essentiellement formel. Un Klee et ses épigones visent avant tout à instaurer des rapports ; que ce soit rapports de lignes ou de couleurs, il s’agit toujours de créer une forme en marge de la forme quotidienne. Le refus de l’objet débouche sur un univers purement optique.

Plusieurs ont tenté d’échapper à ce dilemme ; soit par un retour en arrière, soit par un épaississement de la touche creusée et comme sculptée, soit par un recours à des matériaux insolites ou à des collages. D’autres comme JANSON, cherchent par-delà toute forme à rejoindre l’intimité profonde de la substance naïve et en particulier de ces grandes substances-mères qui sont comme les archétypes de l’imagination créante : l’ardeur du feu, le poids de la terre, la fraîcheur de l’eau, la vélocité de l’air, de l’air « aérien », selon l’expression de Bachelard qui nous a ramenés à ces sources profondes de la création poétique.

Chez Marc JANSON la substance du peint joue un rôle essentiel ; elle est tantôt croûteuse, craquelée, desséchée, ramassée sur un fond de palette, raclée sur une toile ancienne, et c’est l’attaque de la brosse qui en révèle l’intimité : soit qu’elle s’abandonne à l’euphorie du glissement, soit qu’elle s’englue et s’arrache avec hargne, soit qu’elle affronte, agressive, une matière pétrifiée. C’est parfois un motif rocheux présentant le front têtu et compact d’une substance crayeuse et suffocante ; parfois une flamme qui déploie ses élans, ses retours, ses reprises. Souvent c’est l’eau : eaux lentes opaques et lourdes de canaux absents : eaux nocturnes épaisses et douces d’un ciel laiteux ; bonheur des eaux scintillant sous l’abandon des herbes.

JANSON part, le plus souvent, d’une masse de couleur qu’il distend, pétrit, divise comme un boulanger travaille la pâte, adhérant de tous ses bras, de tous ses reins, de tous ses soupirs à une fluidité ou à la résistance. Le pinceau attaque de très loin, du fond de l’épaule, de tout le corps et chaque touche est l’aboutissement d’un geste, au terme duquel elle s’invente, s’accomplit, se profère comme la réponse à un acte qu’elle a elle-même déclenché. Ainsi le thème s’ébauche, s’oriente, s’actualise dans un dialogue entre la masse peinte et la main qui tantôt attaque, tantôt ruse, tantôt se soumet.

Le spectateur est convié à revivre le geste primitif. Il adhère au destin de la toile, la pénètre, s’y installe. Il y circule, non pour la parcourir du pas vain des fausses perspectives, mais pour s’y couler, s’y dissoudre ou s’y rassembler ; soit qu’il refuse ou accepte, qu’il résiste ou qu’il glisse dans cet espace intime qui est celui de sa propre durée.

L’espace est traditionnellement une forme ; il s’actualise autour d’une forme, entre des formes ; c’est une réalité optique. Ici nous avons un espace intérieur, non plus traversé et mesuré par le regard, mais pénétré par l’effort du bras qui plonge dans l’eau, du front qui traverse l’air, du point qui heurte la roche en leur restituant leur poids et leur épaisseur.

L’espace du tableau est sa substance même, dans cette intimité où s’imagine le geste essentiel qui le dynamise et le « co-nait ». Non plus un espace vu mais un espace vécu ; non plus un spectacle mais une expérience.

JANSON résout par ailleurs d’une façon originale le problème de la composition et du rythme.

Dans sa première manière la toile se présentait comme une série d’étroites bandes horizontales, parallèles, divisées en carrés qui étaient autant de décompositions, de variations, de rappels d’une même phrase monochrome. Chaque toile présentait un espace homogène et amorphe qui pouvait être un plan d’eau, un pan de ciel, une paroi rocheuse.

À cette mono-tonie succède aujourd’hui une organisation polyphonique ; dans les tons d’abord, mais surtout dans la structure des thèmes. JANSON reconstruit l’impression comme un certain cubisme reconstruisait l’objet. Il y a un éclatement de la vision immédiate dont les motifs élémentaires (eau, ciel, lumière…) sont intégrés dans un nouveau rythme et selon des hiérarchies originales.

Elle tend aussi à retrouver un certain contenu anthropomorphique là où le refus de toute anecdote, de toute référence esthétique confère à la substance des premières œuvres l’originale candeur d’un monde en-deçà du Verbe. Aujourd’hui en revanche le beau tryptique intitulé l’été nous réinstalle dans un temps humain ; il s’agit d’une série de variations sur un même sujet dans l’esprit de Monet, mais dans un tout autre registre de la sensibilité et qui ferait plutôt songer à Bonnard ; l’air, l’eau, la lumière jouent ici le songe d’une matinée d’été ; du bonheur d’un été chatoyant, éphémère et tendre.

JANSON met les moyens d’une composition, d’un rythme, d’un espace entièrement originaux au service d’une représentation concrète et ramène ainsi la peinture non figurative sur les voies royales de l’art.

Pierre GUIRAUD